Cet article de Matthew Hosier est traduit et publié ici avec sa permission. L’original en anglais se trouve sur le site Think Theology, ici.
Jonathan Sacks écrit : « On peut être minoritaire, vivre dans un pays dont la religion, la culture et le système légal ne sont pas les siens, tout en maintenant son identité, en vivant sa foi et en contribuant au bien commun. » Les chrétiens d’occident ont longtemps été habitués à vivre dans des pays dont la religion, la culture et le système légal étaient les leurs. On se sentait chez soi en occident, mais les choses changent, avec la vision du monde matérialiste qui prend toujours plus de terrain. Il est désormais évident que nous sommes minoritaires, et la question de comment maintenir notre identité, vivre notre foi et contribuer au bien commun se fait d’autant plus pressante.
Malgré les histoires sensationnelles qu’on lit régulièrement, la probabilité que les chrétiens d’Europe et des Etats-Unis fassent l’objet de persécution pure et dure semble moindre. Le défi auquel nous faisons face est plus généralement celui d’une coercition morale qui parfois se transforme en coercition légale. En réalité, cela fait si longtemps qu’on s’est senti à l’aise en tant que chrétien en occident qu’on exagère facilement l’opposition à notre foi, qu’elle soit réelle ou perçue. Cette vague ascendante de matérialisme ne doit pas nous pousser à la panique, mais plutôt nous faire concentrer plus sur le discipulat.
Dans son excellent livre, Disappearing Church (L’église qui disparaît), Mark Sayers parle du besoin de créer des disciples extrêmophiles. Les extrêmophiles sont des organismes qui existent là où aucun autre organisme ne peut, par exemple, dans une bouche volcanique dans l’océan ; la pression y est trop forte, la température trop élevée et les ténèbres trop complètes pour que quoi que ce soit puisse y vivre. Et pourtant, c’est là où vivent les extrêmophiles.
Sayers soutient qu’il faut qu’on forme des disciples capables de vivre dans des contextes culturellement hostiles, que si nous ne faisons que refléter la culture, nous mourrons. C’est un défi : dans mon expérience, la plupart des membres d’églises ne viennent même pas aux réunions de prière ; comment donc allons-nous produire des extrêmophiles ?!
Peut-être que nous devrions considérer l’option bénédictine.
Je n’ai pas lu le livre de Rod Dreher qui porte ce titre [ndt : The Benedict Option, livre d’un auteur américain qui provoque plusieurs discussions dans le monde chrétien anglophone depuis quelques temps], en revanche, j’ai lu Benoît lui-même, et je trouve que certaines caractéristiques dans son mouvement monastique pourraient bien nous servir dans notre besogne de former des disciples. Benoît vivait au VIè siècle, une époque de changement et de confusion. L’empire romain avait croulé et les vieilles certitudes étaient parties avec. Le christianisme avait surgi, mais il y avait également une résurgence du paganisme en cours et Benoît se posait la question de comment vivre dans un monde païen et immoral. Sa réponse, la vie monastique, était censée fonctionner comme témoignage au monde et contre le monde. Elle peut nous aider à savoir comment vivre avec fidélité et joie dans l’occident matérialiste.
1. La vie commune
La communauté du monastère doit être véritable, où la communion fraternelle, le travail et la transparence se vivent collectivement. C’est dur pour nous dans l’occident matérialiste, et ce n’est pas uniquement du fait que nous ne vivons pas dans des monastères. Notre société est bien plus marquée par la mobilité qu’au VIè siècle et bien moins communautaire par nature, tout simplement parce que notre survie ne dépend plus du travail dans les champs avec nos voisins. Néanmoins, afin de créer des disciples extrêmophiles, nous devons nous intéresser aux manières dont nous pouvons honorer l’évangile de façon communautaire.
2. L’humilité
Benoît tenait d’Augustin la compréhension de l’orgueil comme péché originel. La cité terrestre était fondée sur le fratricide de Caïn : c’est une société qui naît de l’envie et de l’orgueil. C’est l’orgueil qui perturbe la paix, alors que l’humilité est la vertu de la cité céleste. Cela signifie qu’afin de vivre en paix nous devons nous revêtir d’humilité. C’est bien difficile à faire dans notre occident matérialiste, où chacun considère son opinion comme aussi valable que celle des autres (à aucune autre époque la véracité de Proverbes 18.2 n’a été si bien illustrée), tout le monde ment sur Facebook, et ou chacun attire l’attention sur sa propre irréprochabilité. Afin de faire des disciples extrêmophiles, il faudra développer des pratiques qui nous aident à intégrer l’humilité.
3. L’adoration
Pour Benoît, la vraie louange n’est possible qu’en communauté et avec humilité. Plutôt que mettre l’accent sur « ma relation personnelle avec Dieu », « mon culte perso » ou « ma louange préférée », dans sa règle monastique, les divisions causées par l’orgueil seraient guéries par le biais de l’adoration humble et collective. C’est dur à mettre cela en pratique dans l’occident matérialiste, où on met tellement l’accent sur l’individualisme et l’expression de soi. Afin de devenir des disciples extrêmophiles, nous devons apprendre les disciplines de la louange collective.
En plus de parler du besoin de disciples extrêmophiles, Sayers nous appelle à renforcer l’institution de l’Eglise. Les charismatiques modernes ont tendance à décrier le concept d’Eglise en tant qu’institution, car nous sommes si anti-institutionnels. Mais le problème, ce n’est pas les institutions, plutôt l’institutionnalisation ! Des institutions saines produisent la vie et l’épanouissement humain. Les régions du monde où il y a le plus de chaos et de souffrance sont celles où les institutions sont faibles : il n’y a pas un état de droit stable, un système sanitaire efficace ou un processus politique solide. Les institutions sont l’incarnation de croyances : sans elles, les valeurs flétrissent et meurent. Si nos églises veulent résister aux pressions de l’occident matérialiste, il faudra qu’elles soient fortes sur le plan institutionnel, avec des « habitudes » rigoureuses cultivées par des disciples extrêmophiles. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut accomplir en ligne ou avec peu d’enthousiasme. Pour que l’Eglise soit Eglise, il faut qu’elle soit incarnée. C’est une Eglise forte sur le plan institutionnel qui peut produire des disciples extrêmophiles et en être composée.
Si nous voulons maintenir notre identité, vivre notre foi et contribuer au bien commun, en tant que chrétiens, dans l’occident matérialiste, nous devons être des disciples extrêmophiles dans des églises réellement fortes (donc institutionnelles), en mettant la vie commune, l’humilité et l’adoration en pratique. Comme le dit l’apôtre Pierre, il faut qu’on aie « une bonne conduite au milieu des non-croyants, afin que, là même où ils vous calomnient comme si vous faisiez le mal, ils remarquent votre belle manière d’agir et rendent gloire à Dieu le jour où il interviendra. » (1 Pierre 2.12)
Article très riche et très pertinant. Merci!