La série de Daredevil m’a finalement accroché. C’est brutal. Je resiste aux séries depuis longtemps. J’étais trop pris par les mangas et, voyant à quel point ils pouvaient me rendre accro, j’ai laissé passer Game of Thrones, Breaking Bad, et toutes les séries dont tout le monde parle tout le temps comme si leurs vies en dépendaient. C’est vrai ce que disent les blogs : les séries, c’est redevenu à la mode aussi parce qu’on n’a plus le temps de regarder des films. Mais quand on est accro à une série, on oublie tout le reste. C’est pourquoi j’hésite encore avec Netflix (j’aimerais bien qu’Amazon Prime vienne chez nous), même s’ils proposent des séries intéressantes. C’est dangereux.
Cependant, il est rafraîchissant de voir que ces nouvelles séries, bien qu’elles gardent certains codes qui sont bien les ceux de notre génération et que nos parents ne supporteraient pas en termes de violence (ça va même loin pour moi, sérieux, âmes sensibles s’abtenir), semblent transmettre des refléxions différentes de ce qu’Hollywood propose. C’est bien ce que disait Ron Perlman : les scénaristes qui veulent travailler vont vers les nouveaux médiums, les boîtes de streaming, car celles-ci sont intéressées à proposer des choses originales.
Le confesseur de Matt Murdock apparaît au premier épisode, mais je me suis vite demandé s’il allait réapparaître, me disant « bah, c’est le 21ème siècle, ils ne peuvent plus nous montrer des personnages religieux, personne n’en veut, » et bam… épisode 9. « Est-ce que vous croyez au diable ? » Ok, le prêtre donne une réponse semi-libérale mais assez intéressante, mais ce n’est pas cette question là qui m’a vraiment touché.
Daredevil est en fait le cousin Marvel pauvre de Batman. Il n’a pas les mêmes gadgets, il a un appartement pourri, il défend un quartier, même pas une ville ; mais il s’habille en noir, il se cache dans les ombres, il parle avec une voix qui fait mal à la gorge le jour suivant et ses créateurs l’ont transformé en ninja quand c’est devenu cool d’être ninja (avant ça, il me semble que lui et Bruce Wayne étaient formés à l’école acrobatique, qui entretemps, est passée au niveau « moins cool que Steve Urkel »). Et surtout, il confronte les mêmes questions éthiques et les méchants auxquels il se confronte, ils sont très méchants… La question de tuer ou pas devient très réelle dans son esprit, quand il se trouve face aux horreurs commises par ses ennemis.
C’est là qu’une perle de philosophie religieuse sort de la bouche d’un des personnages.
« Tu es croyante, Karen ? »
« Mes parents l’étaient, ce qui explique peut-être pourquoi je ne le suis pas. Toi ? »
« Catho. »
« Ca t’aide dans des situations comme celle-ci? »
« Pas aujourd’hui… »
« Matt, si Dieu existe, et il s’intéresse à nous, un jour, {le méchant} aura ce qu’il mérite. Tu dois y croire. »
« J’y crois. » (traduction libre de l’anglais)
À un moment où on ne s’y attendrait pas, le scénariste a tout simplement écrit un des arguments philosophiques les plus puissants pour l’existence de Dieu. Le besoin de justice qu’on trouve dans nos coeurs, une justice complètement fictive et un besoin qui sera profondément frustré si un Dieu juste n’existe pas, est un argument puissant en faveur non seulement de l’existence du Créateur juste, mais de sa nécessité ! Car s’il n’est pas là, non seulement les injustes ne seront pas punis, il n’y a aucun sens à notre désir de justice ! Un animal pensant qui est fort prend quelque chose à un animal pensant qui est faible. Quel est le problème ?
Ce n’est pas le seul point fort de l’argument : il est la raison pour laquelle on peut 1) se battre pour que justice soit faite (sachant qu’un Dieu juste désire la même chose et est à nos côtés) mais aussi 2) on peut lui laisser le jugement quand on sait que certains échapperont à la justice humaine et que de toute façon, qu’elle soit institutionnelle ou personnelle, notre justice sera toujours imparfaite. C’est d’ailleurs le prêtre qui avance ce point à un autre moment de l’épisode, avec une discussion courte mais pointue sur l’interprétation d’un verset de Proverbes qui, si vous allez le chercher (Proverbes 25.26), est effectivement une mine de réflexions. (Oui, les textes millénaires proposent des phrases plus profondes que celles qu’on voit partagées sur face de bouc. Dans ce cas, les deux lectures possibles du verset parlent du besoin de résister aux hommes injustes, mais également du danger de se laisser emporter et salir par le mal, la gangrène pour la société que c’est quand un homme juste est entâché d’injustice.)
Cet argument, d’ailleurs, ce n’est pas moi qui l’ai inventé. Il y a une citation puissante du philosophe Miroslav Wolf, le philosophe croate qui a vécu la violence des Balkans. Celui-ci soutient que dans un monde d’une telle violence, la croyance en un Dieu juste qui rectifierait les injustices était la seule chose qui pouvait empêcher quelqu’un de prendre les armes pour se venger dans un cycle interminable, la seule chose qui pouvait arrêter un tel cycle. Non seulement cela, il ajoute : « Ce n’est que dans la tranquilité d’une villa de banlieue que peut naître l’idée que la non-violence des hommes reflète un Dieu qui ne juge pas. Dans une terre … empreinte du sang des innocents, cette idée ne peut que mourir, avec toutes les autres vanités de la pensée libérale. » (traduction libre de l’anglais)*
Même nous les croyants, on commet une injustice en avançant la grâce de Dieu sans parler de son jugement (et le contraire est également vrai, bien sûr). Comment un Dieu d’amour ne peut-il pas juger le mal ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous demande de ne pas présumer de juger les coeurs des hommes, mais d’utiliser une mesure juste pour tous (Matthieu 7.1-2, Deutéronome 25.15), qu’il nous dit, est sa Parole.
Ce monde a tant besoin de justice. Ne le privons pas d’un Dieu de justice, qui est une bonne nouvelle pour ceux qui aiment le bien et haïssent le mal. Le témoignage interne de chaque homme et femme que l’injustice doit être rectifiée est un indicateur extrêmement important du fait que le Dieu qui nous a créés à son image hait l’injustice et nous demande d’être indignés et d’oeuvrer envers la justice à travers des lois, des normes et un système judiciaire juste. Cependant, cela ne nous donne pas le droit en tant qu’individus d’établir un jugement subjectif, qui est entâché de nos propres préférences, nos frustrations, notre aveuglement à notre propre condition d’imperfection (d’ailleurs Daredevil comprend cela et désire avant tout amener les criminels devant le tribunal). Seul celui qui connait les poids, les mesures, les intentions profondes du coeur, les détails de toute action peut le faire de façon parfaite, juste et impartielle.
*Pour un développement plus approfondi de cette thèse, voir chapitre 5 du livre La raison est pour Dieu de Tim Keller, éd. Clé.